Archives Mensuelles: mars 2017
La plupart du temps, ce que nous faisons ne rime à rien. On a inventé la poésie pour essayer de compenser.
Chaque voyage dans la ville d’autrefois me laisse cette douloureuse nostalgie, le souvenir d’un temps où ma parole était libre et impliquée, où je pensais le monde, avec quelques autres, le lundi soir. J’avais l’illusion de pouvoir dénoncer les absurdités, et que quelqu’un entendrait. Je croyais sincèrement que nos réflexions étaient le début d’une pensée politique nouvelle, éthique et citoyenne. Riez, riez… J’ai eu cette jeunesse enflammée, qui maudit les dérives et les politiciens corrompus, et vote après avoir soigneusement lu et comparé les programmes de tous les partis. Est-ce pour cela que ces dernières semaines, je ressens aussi violemment les profondes crises que nous traversons ? Ou parce que mes choix de vies font qu’aujourd’hui, je ne prends plus part aux débats, et ne suis d’aucun parti ? Hier, sur les routes d’Uchon, je redécouvrais le paysage.
Autrefois je trouvais étonnant, ce contraste, entre qui travaille et qui rentier, entre qui patiente pour s’acheter un vélo, et qui reçoit tout sans même argumenter.
Mais cela m’éloigne…
La nostalgie d’hier, dans le soleil du printemps renaissant, avec ce quelque chose d’abrupt, de violent. L’arbre sans feuille mais qui verdit, colonisé par la mousse. Est-ce le souvenir de ces routes incessantes, le vendredi venu. Nous avions le vent doux, et l’âme vagabonde. Je serrais la main de ma compagne de route. Il est temps, comme un long chemin vers soi, de redevenir celui qui vit, plutôt que celui qui voit. Le monde ne se soucie pas de nous, nous pouvons tout. Silencieux, discrets, nous sommes libres, les invisibles qu’on ne remarque pas. Les heures rétrécissent, et nos rêves s’affinent. Plutôt que de nous trouer l’estomac, prenons la route, le bateau, l’avion et quittons ce monde-là. Explorons les ailleurs, sans plus souci d’aucune loi.
Rêvasser dans les bouchons. Lubrique.
Comme elle était assise dans la voiture, côté conducteur, la tronche rincée de bourrasques solaires, elle leva une main au-dessus des yeux, moyen astucieux de se confectionner une casquette en chair, en os et en cartilage pour se protéger la rétine, le cristallin et toute la structure globulaire vachement mignonne, structure parcourue de nombreux vaisseaux qui atteignaient des diamètres d’une petitesse vachement démesurée et qui irriguaient l’oculaire en lui apportant l’oxygène et les nutriments nécessaires au maintien architectural du truc, et qui après une brève inspection de la micro-vascularisation de l’œil d’une copine, se révéla être invisible à l’œil nu, chose vachement rigolote quand on pense.
Toujours aussi téméraire, j’envisage d’aller me recoucher
Je rentrais dans la nuit comme on rentre dans un rêve, un peu angoissé, un peu gauche, un peu méfiant. Je titube sur le trottoir en faisant mine de garder le cap, je ne sais pas trop où je suis mais je m’en fous royalement, je n’ai pas envie de rentrer chez moi. J’ai envie de marcher jusqu’à ce que l’aube vienne effleurer la terre, qu’elle colore l’horizon de ses teintes incroyables, un peu rose, un peu orange et ce dégradé de bleu… Y’a rien de plus beau !
Je fouille dans mes poches et je retrouve un gant en dentelle rouge, je le respire, il sent fort le parfum d’une demoiselle.
Maintenant, je suis dans cette nuit qui n’en finit pas, traversant le Pont Guillotière engoncé dans ma veste humide. Que cette ville est belle ! Je reste un instant dans le froid à attendre qu’il ne se passe rien, puis je décide de rentrer chez moi, le soleil tarde trop à venir.
De toute évidence, le ciel est gris. Je m’en suis rendu compte en regardant au travers des volets quand cette lumière faible et diffuse qui peine à entrer dans ma chambre, s’est troublée de quelques gouttes timides suintantes dans les interstices. Une pluie silencieuse, de celle qui vous laisse moite, claustrophobe. une pluie de septembre, lourde, collante, chiante.
Je remonte ma couette par dessus mes oreilles, tentant de me convaincre que la nuit n’est pas encore finie. J’embrasse mon coussin dans un câlin réconfortant, je sens quelqu’un sous ma couette, je me retourne, j’y trouve ma femme, je respire profondément le bonheur.