Les histoires nocturnes.

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Hé les enfants, il est temps de vous raconter l’histoire de l’ogre des vacances.

– il y eut des HOUlala et des BBBbbrrrr et moi regardant autour de moi, l’air malin, mystérieux, alerte, souriant et les enfants ne tenant plus en place allongés sur leurs lits, mettant les mains devant les yeux et riant HAHahaha m’encourageant à poursuivre alors même que je n’avais pas commencé, tandis que le silence qui s’ensuivit conférât à l’atmosphère une pesanteur adéquate, je commençais d’une voix douce et chevrotante, frôlant du bout des doigts les bras qui dépassaient de la couverture, ils se mirent à glousser et à avoir la chair de poule tandis que je me tenais accroupi au milieu de la pièce, les lits disposés tout autour et les paires d’yeux braquées sur moi et les respirations s’accélérèrent lorsque ma voix tonna que l’ogre en question était terriblement sanguinaire, ils me demandèrent d’arrêter l’histoire illico parce que sinon on va faire d’effroyables cauchemars, et finalement, les contestations s’estompèrent pour me laisser continuer mon histoire et ils se regardèrent avec des mimiques courageuses et hésitantes alors que je me donnais un mal de chien pour trouver une jolie suite à cette entrée en matière plus que satisfaisante, je redonnais du silence pour accroître la tragédie muette de cet ogre si injuste qu’il se nourrissait uniquement des cerveaux d’enfants trop sages et trop sérieux car le cerveau – organe pour lequel l’ogre fut friand –, était chez ces enfants plus onctueux, sauf qu’un jour il goba par étourderie le crâne d’un petit effronté et sentit aussitôt grandir en lui une chaleur infernale qui semblait dilater son bide, lui retourner les tripes et lui bruler la gorge, je choisissais ce moment de l’histoire pour me lever brusquement et je pus apercevoir dans la pénombre les visages des enfants se crisper tandis que je racontais avec force et détails les horreurs gastriques et émotionnelles que l’ogre avait subi suite à sa mégarde, et il fallait encore que je cherche mes mots, un sens et une morale à cette satanée histoire d’ogre quand je poursuivis en mimant les ballonnements spasmodiques de l’ogre qui se roulait par terre comme un diable à cause de la douleur, et je me rassis enfin au centre de la pièce et les enfants flippèrent un peu plus en sentant poser sur eux mon regard de cinglé qui relatait toute la vilénie et l’avarie de l’ogre et il me fallait expliquer, dire pourquoi je restais assis là pendant que l’ogre – qui s’était non seulement remis de sa mésaventure digestive mais aussi acclimaté à bouffer des gosses complètement cons, – sévissait à nouveau en mangeant toutes sortes de cerveaux, j’entendais les enfants couiner et me demander d’arrêter l’histoire, comme s’ils avaient leur mot à dire, eux qui ont grandement de mal à comprendre qu’il y a un temps pour tout et que la nuit faut pas m’emmerder avec des histoires, que je me décarcasse déjà bien assez en journée pour que nous passions des vacances mémorables, je grinçais des dents tout en souriant gentiment aux enfants et j’avais le sentiment que mon histoire était plutôt bonne, je gesticulais pour donner plus d’ampleur au personnage et eus envie de rire mais je craignais que l’effet dramaturgique de ma mise en scène ne retombe comme un soufflet, j’essayais ensuite d’adopter une attitude distante et de laisser entendre aux enfants que je me désolidarisais de l’ogre, je pris lentement conscience qu’il se passait quelque chose d’anormale dans cette chambre, outre le fait que les enfants s’étaient mis à pleurer, à hurler et à fuir sous leurs couettes.

Je m’aperçus en regardant du coin de l’œil que j’étais complètement seul, assis au centre de la pièce, et je clignais des yeux deux ou trois fois, ce qui parut me faire revenir à la réalité, Elodie se tenait devant moi, debout, les bras croisés, l’air vachement mécontente tandis que les enfants fabriquaient des casques en aluminium pour se protéger le cerveau des crocs avides de l’ogre.

Un écrivain qui se livre, c’est un peu comme un canard qui se confie …

La chaleur s’immisce entre les draps, et dans mes veines, rempart contre l’hiver qui promet de venir. Je m’y love comme on creuse son terrier. Je caresse le livre dont les pages bruissantes marquent le début de mon sommeil. Du fond de ma sérénité temporaire, je me dis qu’il y a tant à quoi je ne peux rien.

Une voix me susurre à l’oreille que tout va bien et je n’ai pas à m’en faire. Je me lève, j’écarte les épais rideaux et laisse la lumière frapper mon corps pour lui redonner vie. Je reste ainsi quelques temps. Je vais bien.

bed