Muet d’admiration, je parlais avec des mots enveloppés de silence.

Et si on s’écrivait? Et si on se disait des mots qui feront passer nos maux. Si on se réconfortait de manière épistolaire ? Si on était heureux juste en s’écrivant ? Si nos lettres nous suffisaient à nous sentir bien ? Nous n’aurions besoin de rien d’autre. On se suffirait juste en étant loin. On serait amants comme à une époque lointaine. Au temps où les femmes portaient des robes incroyables et les hommes des perruques. Je t’imaginerais remonter ce tissu et te caresser. L’imagination a cela de magique que l’on en fait ce que l’on veut. Je peux t’imaginer belle, je peux t’imaginer femme ou jeune globetrotteuse, je peux te voir moderne ou d’antan. La lettre a cette beauté qui reste. Notre écriture est physique. Pas d’enchaînement de 0 et de 1. Elle reste à jamais, jusqu’au moment où pris d’un accès de colère nous mettions le feu à ces mots pour les détruire à jamais.

Aujourd’hui, je n’ai plus le luxe de mettre le feu à un bout de papier où de doux mots sont inscrits. Je ne peux que regarder des mails qui se suivent et qui ne restent pas. Ils s’enchaînent. L’un remplaçant l’autre et ainsi de suite.

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Je revois ces morceaux de papier que je tenais dans mes mains. Ces instants de vie qui n’étaient pourtant pas là pour disparaître. Au moment où mon doigt avait pressé le déclencheur, la lumière était rentrée dans la chambre. Le miroir avait fait son travail et avec une minutie d’orfèvre la magie s’était accomplie. La lumière avait imprimé à jamais cet instant. Figée par la chimie, les sels d’argent avaient réussi à la rendre immortelle. Je la tenais là, dans mes mains tremblantes, un briquet à la main. Je regardais une dernière fois ce corps et cette âme que j’avais tant aimé. Elle devait retourner à l’état de néant. La flamme vient lécher les bords de la photo, elle peine à prendre feu, elle résiste comme si elle s’accrochait à la vie. Moins aisée à faire partir en fumée que du papier sans impression. Fixée à jamais, elle a pris feu quand j’ai insisté. Son sourire et ses formes se sont estompés. Rien à voir avec de l’encre, ici la magie chimique avait rendu une personne immortelle. En quelques minutes, il n’en restait rien.

Tout ça me tourmente, mais je ris dès que je peux. Peu importe que la douleur m’éventre, que je sois ridicule, que l’on vide nos sacs. Ça me tourmente et tant mieux.